Actualité Don du sang : un trait d’union entre les Français

ARTICLE PARU DANS « LA REVUE POLITIQUE » le 11/12/2023.

La crise de la Covid a mis en lumière l’état préoccupant du système hospitalier, reléguant au second plan la situation de la transfusion sanguine. 

Malgré cela, l’Établissement Français du Sang (EFS) s’apprête, comme chaque année à cette période, à publier un communiqué alertant sur le déficit alarmant de dons de sang, estimé à 1 500 par jour à l’approche des fêtes de fin d’année. Ce déficit se concentre particulièrement sur le plasma, dont 65 % est importé, principalement des États-Unis, qui prélèvent près des trois quarts du plasma mondial, autorisant jusqu’à deux dons par semaine.

Au niveau mondial, 85 % du plasma à usage médicinal provient des États-Unis, avec une rémunération des donneurs. Cette rétribution, basée sur des « gamifications » et incitations monétaires, peut atteindre jusqu’à 1 500 $ par donneur et par mois. Sur le plan éthique, cette pratique ouvre la voie à de multiples dérives, notamment la surreprésentation des citoyens économiquement vulnérables.

La singularité de la France réside dans le fait qu’elle a confié le monopole de la collecte du sang et des produits sanguins à deux opérateurs publics uniques (EFS pour les dons civils et CTSA pour les dons militaires), ainsi que le fractionnement à une entreprise à capitaux publics, contrairement à d’autres pays où la collecte du sang est partagée entre sociétés privées, ONGs et centres publics.

L’industrie du plasma, en particulier, est dominée par trois multinationales : les Américains Shire et CSL, et l’Espagnol Grifols. L’ouverture du marché français constituerait une opportunité stratégique pour ces acteurs, détenant ensemble plus de 80 % du marché mondial, expliquant ainsi leurs efforts de lobbying à Bruxelles et à Paris.

"Les multinationales font valoir que la rémunération des donneurs constitue un puissant incitatif, attirant ainsi davantage de personnes vers les centres de don, ce qui permet de réduire les coûts de collecte de manière significative, jusqu’à deux tiers".

En comparaison, le processus de don en France se caractérise principalement par sa nature ambulatoire, ce qui entraîne des coûts élevés. Selon cette perspective, l’ouverture à la concurrence est considérée comme un progrès nécessaire, particulièrement à la lumière des difficultés rencontrées par l’Établissement Français du Sang (EFS) à la suite du confinement. Cette période a été marquée par la suppression de plus d’un millier de collectes ambulatoires à l’échelle nationale.

Cependant, la question de la rémunération du sang est débattue dans la littérature scientifique. De nombreuses études socio-économiques montrent que la rémunération des donneurs entraîne une baisse générale des dons, sauf chez les catégories socio-professionnelles économiquement fragiles. Le donneur considère son acte comme une obligation civique, qui disparaît dès lors qu’il y a rémunération.

La France, parmi les pays les plus généreux au monde, maintient sa position grâce à un modèle de don bénévole, malgré des disparités tant régionales (Alsace, Bretagne, Savoie et Sud-Ouest en tête) que socio-professionnelles (militaires et agriculteurs au sommet du podium).

"N’en déplaise aux Cassandre, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) préconise le développement du don de sang bénévole et loue le modèle français pour son excellence".

L’EFS, seul Centre Collaborateur OMS en transfusion sanguine pour le continent européen, est mondialement reconnu pour son expertise médico-technique et sa capacité à mobiliser les parties prenantes.

Une gouvernance hybride

Aujourd’hui, l’EFS est caractérisé par une gouvernance mixte, comprenant la participation des donneurs de sang eux-mêmes. Trois représentants élus de la Fédération Française du Don du Sang Bénévole (FFDSB), une organisation regroupant environ 800 000 membres actifs et comptant parmi les premières associations de France, siègent au sein de cette gouvernance. La FFDSB fédère près de trois mille associations françaises de donneurs de sang, comprenant des sections locales, sectorielles ou d’entreprise (telles qu’Orange, RATP, etc.) ainsi que des associations thématiques telles que Frères de Sang, axées sur la drépanocytose.

Pour sa part, le Centre de Transfusion Sanguine des Armées (CTSA) collabore avec les associations de militaires telles que l’UNOR, Résilience et l’Andsa, ainsi qu’avec la FFDSB. Grâce à ses surplus, hormis « coups durs », il approvisionne partiellement l’EFS et travaille en étroite collaboration avec la société civile dans son ensemble, notamment lors des opérations de don du sang en milieu militaire et lors des célébrations nationales. Cette coopération contribue de manière significative au renforcement du lien Armées-Nation.

"Ce collectif soudé, EFS-CTSA-société civile, est reconnu comme une référence au niveau mondial".

Selon le président de la FFDSB, Jacques Allegra (DRH dans le civil), « nous n’hésitons pas à faire remonter en conseil d’administration de l’EFS les problèmes rencontrés sur le terrain, mais in fine nous faisons tous bloc derrière nos établissements publics. J’ai demandé à nos associations quelle était leur position sur le sang rémunéré. Réponse : 100 % sont pour l’acte bénévole. Pas question de marchandiser le corps humain ! »

"Les chercheurs constatent que le niveau de don de sang est plus élevé dans les pays où la confiance est solidement établie, la société civile prospère, et les institutions démocratiques sont robustes".

Le don de sang revêt également une dimension sécuritaire, comme en témoigne la Russie, où la population contribue trois fois moins par habitant que celle en France. Ce phénomène s’explique par la faiblesse du lien social et l’absence de confiance envers les institutions, entraînant une surmortalité alarmante, constatée avant même l’invasion de l’Ukraine.

La « troisième voie » française a donc vocation à jouer un rôle essentiel dans la promotion des valeurs éthiques du don de sang à l’échelle mondiale.

La collaboration du « Team France » avec les pays étrangers conduit à une nette augmentation du don de sang, comme c’est en ce moment observé dans au Chili, où l’expertise française en matière de gouvernance et de promotion de don du sang contribue à une progression significative du don bénévole, passant de 5 % à plus de 50 % en l’espace d’une décennie dans la province de Concepción. Une trentaine d’initiatives similaires sont actuellement en cours en Argentine, en Inde et en Afrique, où le continent parvient actuellement à satisfaire moins du cinquième de ses besoins en sang.

"Les chiffres attestent du succès du modèle français, basé sur des valeurs partagées d’engagement et d’attention à l’autre".

Grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la filière, la France n’a pas importé une goutte de sang depuis plus de dix ans. Loin d’être des « dinosaures », nos établissements publics contribuent activement au progrès, appelant à améliorer l’équipement des collectes plutôt que de rémunérer les donneurs, préservant ainsi le lien social essentiel.

Selon le président de la FFDSB Jacques Allegra, « en ce qui concerne le plasma, équipons l’EFS en machines transportables pour les collectes ambulatoires, et nos donneurs seront présents. Les multinationales disposent de telles machines, pourquoi pas nous ? L’Etat doit donner aux établissements publics les moyens d’accomplir leur travail. »

Les informations fragmentaires disséminées par les multinationales occultent les avancées réalisées ces dernières années ainsi que celles à venir. Malgré les alertes régulières émises conjointement par l’EFS et la FFDSB concernant des réserves de sang atteignant des niveaux critiques, la solution ne réside pas dans la rémunération des donneurs, mesure susceptible de fragiliser le tissu social. Au contraire, elle passe par la constante amélioration de l’équipement de nos établissements.

Le don du sang va bien au-delà de considérations purement économiques. Il incarne l’excellence, l’humanisme et l’engagement sociétal des Français. Il s’inscrit également dans le cadre plus vaste de la résilience de la Nation française en cas de crise grave, voire de conflit.

 

Par Serge Besanger
Président et auditeur d’associations de donneurs de sang
Professeur à l’ESCE